Les débuts de la vie artistique de cette dame ressemblent aux histoires romanesques des années 50. Aînée d’une nombreuse fratrie, elle doit très tôt endosser des responsabilités afin de faire face à la précarité familiale : « i fallait soubat’ pou amène quelque chose la caz ! »
Il fallait aussi gérer la maison, et accomplir les tâches domestiques, plus ardues les unes que les autres. Et c’est au moment de l’attribution des corvées par ses parents, que son destin se révèle à elle de manière bien insolite, elle a choisi le rôle de lavandière.
La lessive, c’est le nettoyage très physique du « ballot linge » certes, mais elle s’assure de pouvoir emporter le poste de radio à proximité de « son roche lavé ». C’est ainsi qu’elle se retrouve régulièrement au fond de la cour à frotter sur « son roche lavé » et à chanter avec la radio.
Un jour, le recouvreur payeur passant aux alentours de la maison familiale, découvre avec étonnement le son d’une voix au timbre chaud et clair émanant de l’arrière de la cour. Poussé par son flair artistique, il s’approche un peu plus, franchit le pas et demande à la mère de la chanteuse en herbe si cette dernière peut intégrer son orchestre. Il la rassure en lui précisant que son épouse chante déjà dans ce groupe, elle ne sera donc pas seule.
En effet, ce recouvreur est aussi un musicien, il est déjà le chef d’orchestre du « Club rythmique » avant de créer un autre groupe le « Créol rythmique ». Prudente, la mère lui demande de revenir en fin de journée, quand le père sera présent. Ce dernier donnera son assentiment et c’est ainsi que notre future star commence sa carrière de chanteuse, mais uniquement de variétés françaises.
Elle se souvient alors que plus jeune, elle échangeait les textes de « Salut les Copains » dans la cour de l’école, du temps où elle s’exerçait dans les « Radio Crochet » ou dans la salle d’œuvre de Sainte-Clotilde. Le séga surgit dans sa vie grâce à l’opportunité d’un concours de la SACEM à Saint-Pierre, où elle chante en duo avec un certain Sully DUCAP, qui deviendra son mari.
L’organisateur de ce concours qui n’est rien d’autre que le directeur de l’ORTF suggère alors à Jules ARLANDA d’initier notre héroïne au séga. C’est ainsi que de la variété française, elle passe au répertoire du séga en langue créole. Nous sommes dans les années 70, elle forme un trio avec Henry Claude et Marie-Armande Moutou.
Même si leurs textes conservent une touche de nostalgie, leurs chansons sont de véritables chroniques de la société réunionnaise de l’époque. Leur groupe se nomme « Bourbon i koz, Bourbon i chant » ; il se produit à la mairie de Saint-Denis aux côtés de l’orchestre de Jules Arlanda « Play Boy », qui est alors l’orchestre officiel de la ville.
Tout le monde à La Réunion a fredonné ces airs populaires comme « rend zanno la Lisa » ou « quand li met son moulure ». Elle voue toujours une grande reconnaissance à « Julot » son mentor ; ce dernier lui a transmis le sens de la rigueur dans l’exercice de son art, mais aussi la joie de pouvoir chanter dans sa langue originelle, le créole réunionnais.
Pour avoir contribué à faire rayonner la musique réunionnaise et la langue créole à travers sa carrière de ségatière, la Région Réunion est heureuse d’honorer Madame Pierrette Payet, et de lui remettre le trophée de « Gardien de la Mémoire ».