Il existe encore à La Réunion une tradition de cueilleur chasseur, et bien que rare, elle est vivace. Ce soir, nous avons la chance d’en côtoyer un qui nous vient de l’est de l’île. Il partage son temps entre son métier, conducteur d’engin, et sa passion de « tireur de guêpes ».
Il est tombé dans le nid depuis tout petit, et d’ailleurs son arrière-grand-père, actuellement âgé de 103 ans, en vivait déjà. Dès l’âge de 11 ans, il s’exerce à la chasse aux guêpes, et ce jeu le tient en haleine jusqu’à présent.
Partir à la chasse aux guêpes exige un savoir-faire, mais aussi une bonne forme physique et des sens en éveil.
Il faut percevoir les sons, celui du cardinal qui nous indique la présence des frelons, posséder une bonne acuité visuelle pour distinguer les nids juchés au fond des feuillages ou dans les branches entrelacées des arbustes.
Les jambes doivent être alertes et souples pour glisser au fond d’un buisson abritant un nid de guêpes. La technique est tout à la fois simple et sophistiquée : on fabrique une gaulette avec un chiffon enroulé au bout de la branche. Ce tissu doit être brûlé pour enfumer le nid d’où seront chassées les guêpes. Une fois que l’espace est sécurisé, le nid est arraché de son enclos.
Vient alors le moment de satisfaction, lorsque l’on pose la récolte dans la « tant guêpes » qui finira au marché pour être vendue. Car les guêpes sont aussi un appoint, un moyen de boucler les fins de mois difficiles.
La nature est au cœur de ce métier ; il faut arpenter les ravines, fouiller les sous-bois, ou encore pénétrer les « karo cannes » après la coupe pour éviter les incendies accidentels.
Les nids sont cachés, et un tireur de guêpes a l’œil pour détecter la mère. À partir de là, il sait que la première partie de la chasse est gagnée. Une chasse peut durer cinq à sept heures, aussi la patience conjuguée à la dextérité doivent être au rendez-vous.
Cette activité très exigeante se pratique dans la plus grande solitude, en symbiose avec la nature, au sein d’un écosystème particulier, où s’entrecroisent règne animal et règne végétal. Le mauvais temps peut tout bloquer, et les récoltes très aléatoires ne sont pas les mêmes d’une année à l’autre.
En dépit de ces fortes contraintes, la tradition se perpétue, dans la fierté d’appartenir à cette lignée de tireurs de guêpes.
La Région Réunion est honorée ce soir de partager cette passion avec Monsieur Jérôme ARASTE, et de lui remettre à cette occasion le trophée de « Gardien de la Mémoire ».